Les cheffes comment s’en débarasser

( Cliquez pour agrandir)


Explications

Le tableau a 6 lignes et 4 colonnes. Les lignes, ce sont les différents types de pouvoir, qu’on a l’impression de constater dans nos collectifs.

Les colonnes, ce sont les différentes manières de s’en débarrasser:

  • la première colonne, c’est plus une description de l’excès de pouvoir en question, comment il se manifeste, à quel genre de chef-fe il mène.
  • la seconde, c’est ce que peuvent faire les chef-fe-s elleux-mêmes (les dominant-e-s) pour lutter contre cette situation de pouvoir.
  • la troisième, c’est ce que peuvent faire les autres gens du collectif (les dominé-e-s) pour lutter contre ce pouvoir.
  • la quatrième, c’est ce que peut mettre en place le collectif dans son ensemble (dominant-e-s + dominé-e-s) pour lutter contre ce pouvoir.

Ce qu’on peut remarquer en regardant bien c’est que ô surprise il y a des signes “+” entre les trois dernières colonnes. Ce qui pourrait signifier que les solutions aux situations de pouvoir requièrent un effort des dominant-e-s, des dominé-e-s, et du collectif dans son ensemble. Bon mais ça on développera plus loin.

1. Le pouvoir d’INITIATIVE.

Il correspond à la capacité d’agir par soi-même, d’avoir et de lancer des idées, de prendre les devants.

Son excès, c’est la situation où seule 1 personne (ou seules peu de personnes), a cette capacité dans le collectif. Elle tire le groupe, l’entraîne, lui donne de l’énergie. Elle paraît infaillible. Quand elle n’est pas là, le collectif est un peu inerte / paumé.

Ce que peut faire la/e détenteurice (ou les détenteurices) de cet excès de pouvoir, c’est se mettre en retrait, ne pas se jeter systématiquement sur le premier truc à faire, quitter momentanément le groupe, montrer ses failles, être moins exigeant-e / plus tolérant-e / plus confiant-e envers les autres membres du collectif, cesser de craindre que sans ellui, les choses seront forcément mal faites. Ce que peuvent faire celleux qui “subissent” cet excès de pouvoir, c’est prendre confiance en soi, se lancer, se jeter à l’eau, ne pas se reposer sur l’énergie / les idées / la toute-puissance d’un-e seul-e (ou de quelques-un-e-s).

Ce que peut faire l’ensemble du collectif, c’est créer un climat de confiance où l’on accepte les tentatives, les échecs, les faiblesses. Ca peut aussi être identifier collectivement les différentes choses à faire ou à prendre en main, et formuler clairement, pour chacune, QUI s’en charge, histoire de montrer puis d’éviter que toutes les tâches soient accaparé-e-s par un-e seul-e ou quelques-un-e-s.

2. Le pouvoir d’INFORMATION.

L’information est l’un des outils nécessaires pour prendre des initiatives. L’excès de ce pouvoir, c’est quand une seule personne (ou une minorité de personnes) dans le collectif a toutes les infos importantes dans la tête. Elle devient une personne référente, indispensable.

Ce que peut faire ce-tte dominant-e (ou ces dominant-e-s), c’est transmettre ces infos aux autres gens du collectif, aussi souvent que possible, par oral et surtout par écrit (pour qu’elles soient accessibles tout le temps par tout le monde).

Ce que peuvent faire les dominé-e-s, c’est s’approprier l’information, ne pas se reposer sur des personnes référentes qu’on questionne quand on en a besoin.

Ce que peut faire le collectif, c’est créer des outils d’information collective : panneaux, cahiers, agendas, répertoires, dossiers juridiques…

3. Le pouvoir de COMPETENCE.

Les compétences, les savoirs techniques ou manuels, sont d’autres outils nécessaires pour prendre des initiatives.

L’excès de ce pouvoir, c’est quand une seule personne (ou une minorité) détient les compétences nécessaires au collectif (par exemple, bricoler l’électricité, écrire un tract, faire une affiche, parler en public…) Cette personne devient spécialiste et indispensable.

Ce que peut faire lae dominant-e (ou les dominant-e-s), c’est transmettre sa compétence dès que possible. C’est être disponible pour cette transmission : se mettre à la portée des autres, ne pas les mépriser, ni les envoyer chier, quand illes posent des questions.

Ce que peuvent faire les dominé-e-s, c’est se munir d’une certaine curiosité : trouver l’envie d’acquérir au moins quelques autres compétences que la leur. Et c’est solliciter la transmission de compétence par lae compétent-e.

Ce que peut faire le collectif, c’est instaurer ou généraliser les échanges de savoir dans la vie du collectif. Par exemple, faire en sorte que pour chaque tâche, il y ait 2 “exécutant-e-s” : l’un-e compétent-e, et l’autre qui a envie d’apprendre.

4. Le pouvoir de la PRÉSENCE physique dans les moments de l’aventure collective.

L’excès de ce pouvoir, c’est quand une seule personne (ou une minorité) est toujours présente. Elle est la seule à voir et à vivre tous les moments de l’aventure collective (réunions, actions…) : elle en connaît et maîtrise tous les détails. Elle fait partie du collectif plus que quiconque.

Ce que celle-ci peut faire, c’est prendre des vacances, s’absenter, arriver en retard… Se rappeler qu’il peut y avoir d’autres choses à faire, d’autres choses dans la vie que cette aventure collective.

Ce que peuvent faire les dominé-e-s, c’est ne pas oublier, quand lae dominant-e est absente ou en retard, de ne pas l’attendre ! pour agir ou commencer. Ca peut être, aussi, faire des réunions non-mixtes dominé-e-s (par exemple, dans un squat, non-habitant-e-s), où la présence de dominant-e-s est exclue…

Ce que peut faire le collectif, c’est choisir la non-permanence (par exemple, dans un squat “d’activités”, pas d’habitant-e-s fixes)…

5. Le pouvoir de la PAROLE.

Il correspond à la capacité de se manifester, s’exprimer, se mettre en avant. Son excès, c’est quand une personne parle beaucoup, longuement, écoute peu, coupe souvent la parole aux autres… Ce qu’elle peut faire pour se soigner, c’est apprendre à se taire, à écouter, à laisser des blancs, dans la conversation ou avant de prendre la parole en réunion…

Ce que peuvent faire les dominé-e-s, c’est apprendre à prendre la parole, se défendre quand illes se la font couper, oser prendre la parole en réunion quand il y a des silences…

Ce que peut faire le collectif dans son ensemble, c’est créer un climat où celleux qui ont des difficultés à s’exprimer sont écouté-e-s, respecté-e-s, pris-es en compte, aidé-e-s. Ca peut aussi être, pour les réunions, trouver des systèmes égalitaires de prise de parole (main levée pour demander la parole, tours de parole, tours de table, objet-relais de parole, temps de parole limité, etc., selon les situations).

6. Le pouvoir de COORDINATION.

Il apparaît quand on a une vision globale de l’aventure collective et de ses priorités. Son excès, c’est quand une personne (ou une minorité) s’occupe toujours de rappeler des dates importantes (par téléphone…), de lancer les réunions, de tenir l’ordre du jour, de poser les questions, de recentrer les débats…

Ce que peut faire cette personne, c’est ne pas se jeter sans cesse sur ce rôle… Et se préoccuper de partager sa vision globale de la situation.

Ce que peuvent faire les dominé-e-s, c’est justement acquérir cette vision globale de l’aventure et des urgences, et ne pas se blottir dans le rôle d’exécutant-e.

Ce que peut faire le collectif, à chaque réunion par exemple, c’est d’instaurer un rôle de médiateurice, QUI TOURNE, pour que ce ne soit pas implicitement les mêmes qui s’y collent ou qu’on y colle.

CE QUI N’EST PAS DIT DANS CE TABLEAU

  1. Ce tableau a été réalisé à partir de PRÉSUPPOSES, de principes de base implicites, qui mériteraient peut-être d’être développés.
  • ON VEUT PAS DE CHEF-FE-S dans nos collectifs.

Ca paraît évident mais ça ne l’est pas pour tout le monde. Certain-e-s pensent qu’il y a des talents naturels (ou culturels: l’âge, l’expérience…) pour dynamiser un groupe, le rendre plus efficace, le faire avancer plus vite vers la révolution ou vers le bonheur…

  • IL NE SUFFIT PAS DE SE DIRE ANTI-AUTORITAIRES… Même dans les collectifs qui de proclament anti-autoritaires, il y a des situations de pouvoir… C’est pas parce qu’on a aboli la hiérarchie, les postes d’autorité, dans le groupe (au niveau explicite) que hop, spontanément, comme par magie, on se libère d’un coup de 20 ans et plus de conditionnements, que nos comportements changent de A à Z… La lutte contre le pouvoir est une affaire quotidienne, de conscience, d’attention…
  • Y’A PAS DE VICTIMES du pouvoir dans un collectif autogéré : tou-te-s responsables, tou-te-s coupables, d’une situation de pouvoir. Les dominant-e-s autant que les dominé-e-s. L’effort pour changer la donne doit venir de tout le monde, sans exception, sinon ça marche pas (à moins d’en venir au conflit). La motivation pour combattre la situation de pouvoir peut être partagée par tou-te-s, et on a la chance d’être dans un milieu où a priori c’est le cas : les “chef-fe-s” parmi nous se disent parfois (souvent?) rongé-e-s par leur position.
  1. Ce tableau a des LIMITES : attention attention !!!
  • CE TABLEAU EST TRÈS BO. (modestement.) Ou plus précisément, il peut paraître très abouti : il ne l’est pas. Il est là pour être gribouillé, griffonné, grignoté. Contesté. Work in progress, amig@.

  • CE TABLEAU EST TRÈS TECHNIQUE.

Trop. On dirait un code de la route. Il ne couvre pas plein d’aspects du pouvoir : l’aspect social, historique, éducatif, linguistique, psychologique… D’autres aspects qui sont sans doute essentiels à comprendre, et à “travailler”, pour changer des choses.

  • CE TABLEAU EST UN TABLEAU. Les situations réelles et humaines n’ont rien à voir avec des tableaux, elles sont bien plus complexes. Le but en lisant ce tableau n’est pas d’arriver à se classer, soi ou son collectif, dans une de ses cases. C’est simplement d’acquérir quelques outils, quelques pistes, quelques idées, pour ensuite comprendre ce qu’on vit, se clarifier un instant la cervelle, arriver un moment à formuler des choses, pour ensuite mieux revenir à la perception très particulière de la situation très singulière où on se trouve. Entendons-nous bien, ce tableau n’est qu’un outil heuristique, dans le sens idéaltypique-wébérien du terme, n’est-ce pas. C’est entendu ?

Origine : Réseau sans-titre

Texte paru sur la liste Convergence Libertaire le 11 Janvier 2002